La raison d’être d’une coopérative de travail : maximiser l’avantage coopératif de ses membres

Le premier mandat du conseil d’administration d’une coopérative de travail est d’administrer et de contrôler la gestion de l’entreprise de manière à satisfaire au mieux les intérêts des membres travailleurs qui en sont collectivement propriétaires.  En fait le conseil d’administration d’une coopérative de travail a le même type de mandat que celui d’une entreprise privée à capital actions, c’est-à-dire de faire en sorte que l’entreprise serve au mieux les intérêts de ses propriétaires. 

 

Mais, alors que dans une entreprise privée, cela signifie faire en sorte que l’entreprise génère le plus de profits possibles afin de payer aux actionnaires propriétaires des dividendes par action les plus élevés possibles, il en est tout autrement dans une coopérative de travailleurs. 

 

Comprendre ce qu’est la ristourne 

 

Dans une coopérative, quelle qu’elle soit, les profits, qu’on appelle plutôt surplus pour bien les distinguer, appartiennent aux membres et doivent leur être redistribués au prorata de leur usage de la coopérative.  C’est pourquoi on y verse des ristournes et non des dividendes.  Les membres touchent une ristourne de leur coopérative, non pas en tant que propriétaires-actionnaires mais en tant que propriétaires-usagers.  En effet, encore une fois, quelle que soit le type de coopérative, les surplus sont distribués parmi les membres proportionnellement à l’usage économique qu’ils ont fait de leur coopérative, c’est-à-dire proportionnellement aux transactions commerciales qu’’ils ont effectuées avec elle. 

 

Dans une coopérative de consommateurs, par exemple un magasin COOP, les surplus sont ainsi considérés comme des « trop-perçus » de la coopérative auprès de leurs membres acheteurs.  La coopérative leur retourne donc ces trop-perçus proportionnellement au volume d’achat de chacun.  Il s’agit en quelque sorte d’un remboursement fait aux membres.  Si j’ai acheté pour 10 000$ de produits de ma coopérative, j’ai ainsi droit à dix fois plus de ristournes que le membre qui n’y a acheté que pour 1000$. 

 

Dans une coopérative de producteurs, par exemple une coopérative agricole comme AGROPUR, les surplus sont considérés comme des « pas-assez-payés » aux membres lorsque la coopérative leur a acheté leurs produits agricoles.  La ristourne est alors considérée comme un complément de prix d’achat de ces produits. 

 

Dans une coopérative de travailleurs, comme les surplus sont théoriquement considérés aussi comme des « pas-assez-payés » aux membres lorsque la coopérative a payé leurs salaires.  Ceci dit, dans la pratique, une coopérative de travail doit gérer ses coûts financiers, notamment sa masse salariale, de manière à maximiser sa compétitivité sur le marché.  C’est pourquoi la ristourne n’y est pas en fait un complément de salaires mais plutôt un complément de revenu versé aux membres.  Ce complément de revenu varie annuellement selon la profitabilité de la coopérative, c’est-à-dire selon le niveau de surplus qu’elle a pu réaliser lors d’une année financière.  Il s’agit en quelque sorte d’une forme de boni de productivité. 

 

Les quatre dimensions de l’avantage coopératif dans une coopérative de travailleurs 

 

L’avantage coopératif d’un membre d’une coopérative de travail ne se limite pas au fait de toucher un complément de revenu sous formes de ristournes annuelles.  Certes, maximiser le revenu de travail de ses membres est la raison-d’être fondamentale d’une coopérative de travail, mais cette raison-d’être se manifeste également par le fait de protéger l’emploi des membres, de leur garantir une sécurité d’emploi.  On pourrait même dire qu’avant de maximiser les revenus d’emplois, il s’agit d’abord de protéger ces emplois.  C’est pourquoi, le conseil d’administration d’une coopérative de travailleurs doit chaque année, avec l’aide de la direction générale, proposer un mode de disposition des surplus annuels qui permettent à la fois de protéger l’emploi des membres et de leur assurer le meilleur revenu d’emploi possible.  Ils doivent donc toujours arbitrer entre ces deux exigences qui peuvent être contradictoires.  En effet, protéger l’emploi de nos jours, c’est s’assurer que l’entreprise maintienne un bon rythme de croissance.  C’est investir dans son développement.  Cela signifie donc utiliser une partie des surplus pour assurer ces investissements nécessaires pour la protection des emplois des membres, donc ne pas verser tous les surplus en ristournes aux membres mais seulement une partie. 

 

Maximiser l’avantage coopératif des membres d’une coopérative de travailleurs signifie ainsi gérer la coopérative d’abord sur le long terme (protection des emplois), plutôt que sur le court terme (meilleur revenu d’emploi possible).  C’est là que se manifeste à la fois la sagesse et la recette du succès des coopératives de travailleurs.  Ce succès se bâtit sur le long terme.  Il se construit année après année sur des assises solides.  Il se bâtit sur la confiance des membres travailleurs envers leur coopérative qui savent qu’elle est là pour durer, qu’elle leur permettra de faire vivre et de mieux en mieux vivre leur famille. 

 

Par ailleurs, l’avantage coopératif d’un travailleur membre ne devrait pas se limiter à ces deux premières dimensions, même si elles sont primordiales.  Il devrait se manifester également sur deux autres points, la qualité de vie au travail et la possibilité de se développer par le travail.  Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les coopératives de travail ont été des pionnières en matière de gestion des ressources humaines.  Le fait qu’elles mettent toujours en avant la primauté de la personne sur le capital est une des caractéristiques fondamentales qui différencient les coopératives des entreprises privées pour lesquelles il s’agit plutôt de la primauté du capital sur la personne.  Dans le cas d’une coopérative de travailleurs, cela signifie la primauté du travailleur, c’est-à-dire : 

  • faire en sorte de maximiser sa qualité de vie au travail (conditions de travail, de salubrité, de sécurité, etc.); 
  • et faire en sorte, mais cela n’est malheureusement pas toujours possible, que les membres puissent trouver un enrichissement humain personnel par leur travail. (enrichissement des tâches, gestion participative, possibilités de promotion interne, etc.). 

Alain Bridault, président, ORION coopérative de recherche et de conseil