L’inflation, source de défis particuliers pour les coopératives de travail

Par Kenzie Love

Par les temps qui courent, l’inflation préoccupe grandement les petites et moyennes entreprises (PME) canadiennes. Un récent sondage révèle que 90 % d’entre elles ont été touchées par l’inflation, qui constituerait la principale menace financière qui plane sur les PME canadiennes selon un autre sondage, mené auprès de 500 comptables du pays. Quand on sait que la vaste majorité des coopératives de travail canadiennes sont des PME, il est raisonnable de penser qu’elles sentent aussi les pressions inflationnistes. Cela dit, même si les coops de travail et les entreprises traditionnelles rencontrent des défis semblables à ce chapitre, leur façon d’y répondre risque de différer.

Lorsque soumises à des pressions inflationnistes, les entreprises traditionnelles doivent choisir entre refiler les coûts à leur clientèle ou réduire leurs dépenses, comme les frais de personnel. Selon Simon Berge de l’Université Dalhousie, si une petite entreprise traditionnelle décide d’emprunter la seconde avenue, le processus sera plus aisé que pour une coopérative de travail, qui sera moins encline à baisser les salaires ou à procéder à des licenciements étant donné que ce sont ses membres qui détiennent le contrôle de leur main-d’œuvre.

 « Les entreprises traditionnelles peuvent simplement réduire les heures de travail de leur personnel, mais cette option n’est pas vraiment envisageable pour un bon nombre de coops de travail », explique-t-il. « La plupart des coops de travail sont tenues d’assurer un gagne-pain viable à leurs membres. »

Une coop de travail qui déciderait de couper dans ses dépenses pour rester compétitive malgré l’inflation pourrait adopter une approche similaire à celle de La Siembra en 2008. Pour faire face à la récession de cette année-là, cette coop a réduit le nombre d’heures de travail de quelques membres et le salaire d’autres, afin d’épargner les membres qui n’avaient pas les moyens d’absorber les compressions budgétaires. Résultat : personne n’a perdu son emploi. Voilà une approche qu’une entreprise classique n’aurait probablement pas adoptée. Évidemment, quand les temps sont durs, il arrive que même une coop de travail doive se résigner à licencier des employé·e·s ou à réduire les salaires pour survivre, mais cette décision est généralement prise en toute transparence et de concert avec les membres.

À l’instar d’une entreprise traditionnelle, une coop de travail pourrait décider de répondre à l’inflation en augmentant ses prix, à la différence qu’elle pourrait normalement se permettre d’être plus transparente auprès de sa clientèle quant aux raisons de la hausse. Evan Proven, de la coop Sun Certified Builders de Winnipeg, souligne que cette transparence est un atout majeur du modèle des coopératives de travail.

« Nous communiquons à nos client·e·s tous nos calculs de frais généraux, de sorte qu’il soit bien clair où va leur argent », explique-t-il. « Le coût des intrants, soit des matériaux, n’est pas un secret. Les gens peuvent voir directement les frais généraux et les majorations appliquées. »

La clientèle est parfois prête à payer plus cher pour faire affaire avec une coop de travail parce qu’elle sait que ce sera de l’argent utilisé à bon escient. Owen Ardal, de la coopérative torontoise Urbane Cyclist, mentionne que c’est le cas pour la plupart de leurs client·e·s.

« Une grande part de notre clientèle est fidèle et vient vers nous pour notre expertise, sans trop se soucier du coût final », révèle-t-il. « Nos client·e·s se réjouissent de pouvoir encourager une entreprise locale, portée par des gens vraiment impliqués dans leur communauté. »

Bien sûr, inévitablement, une part de la clientèle sera attirée par les prix les plus bas, plus susceptibles d’être offerts par Amazon ou Walmart qu’une coop de travail typique. Mais Berge croit tout de même au pouvoir de persuasion des coops de travail : si elles arrivent à mieux se vendre que les grands détaillants, elles pourraient convertir des client·e·s. À son avis, les gens seront plus enclins à payer plus cher en sachant que leur achat profite à la communauté au lieu de simplement enrichir les actionnaires. Comme l’explique Berge, en faisant affaire avec une coop de travail, la clientèle ne fait pas qu’acheter un bien ou un service, elle contribue aussi à assurer aux gens un emploi digne et riche de sens.