Par Kenzie Love
Lorsqu’on pense aux sept principes coopératifs, on peut se demander s’ils sont exclusifs aux coopératives. Plusieurs entreprises conventionnelles prétendent par exemple s’intéresser à leur communauté, faire preuve d’ouverture à la diversité à l’embauche et s’engager dans des activités de formation et d’éducation. Cependant, le second principe coopératif, soit le pouvoir démocratique exercé par les membres, se démarque en ce sens.
« Je crois que c’est un principe assez fondamental », affirme Colin MacDougall de la coopérative de travail Sustainability Solutions Group, « puisque le pouvoir exercé par les membres, c’est l’essence de ce qui distingue les coops de presque toute autre structure organisationnelle. Plusieurs des principes coopératifs pourraient être récupérés par des entreprises ou par d’autres entités non coopératives qui diraient ʺbien sûr, on fait ça!ʺ. L’engagement envers le milieu, ʺoui, on fait ça!ʺ. La coopération entre entreprises qui partagent les mêmes valeurs, ʺon fait ça aussi!ʺ. Mais le fondement d’une coopérative, c’est qu’elle est contrôlée par ses membres. C’est propre au modèle coopératif et on ne peut pas feindre cet aspect. »
Qu’est-ce que ça veut dire exactement, le pouvoir exercé par les membres au sein d’une coopérative? Cela signifie que, de manière collective, les membres travailleuses et travailleurs établissent des politiques et prennent des décisions fondamentales pour leur coop, soit par vote ou consensus. Contrairement à la croyance populaire, ce n’est pas nécessairement synonyme d’absence de présidence ou de direction générale. Les membres à qui on accorde du pouvoir sont cependant toujours redevables aux autres membres. La prise de décision par consensus n’est pas non plus un prérequis, quoique plusieurs coops fonctionnent ainsi. L’important est surtout que les processus décisionnels soient transparents et perçus comme justes. Lorsque toutes ces composantes sont présentes, selon Janice Ashworth de la coopérative maraîchère BeetBox, c’est tout le monde qui en profite.
« Le pouvoir démocratique exercé par les membres s’applique particulièrement aux coops de travail parce qu’il donne aux membres travailleuses et travailleurs une forme d’autorité sur les décisions de leur employeur », dit-elle. « Cela permet de construire de la confiance, de la redevabilité. Ça construit une équipe de travail dévouée, ça construit de la loyauté. »
Ces éléments sont apparus évidents pour MacDougall lors de son passage à La Siembra, une coop qui, comme beaucoup d’entreprises, a été durement touchée par la récession de 2008. Face à une diminution de revenus, la coop a d’abord considéré de faire des mises à pied. Face è cette approche typique du monde des affaires de « réduction des effectifs », le conseil d’administration a jugé pertinent d’explorer d’autres solutions. Et il les a trouvées! La Siembra a réussi à maintenir l’ensemble de ses membres à l’emploi en diminuant les heures de travail de quelques-un∙e∙s, en réduisant le salaire d’autres, et en laissant intactes les conditions de travail de celles et ceux qui n’avaient pas les moyens de subir un tel changement. Un choix qui, selon MacDougall, n’aurait pas été considéré dans une entreprise traditionnelle.
La nature démocratique des coopératives de travail n’est cependant pas sans défis. MacDougall mentionne que le rythme des prises de décision est parfois plus lent (quoique pas toujours). Elle comporte un risque que les processus collectifs engendrent des décisions plus faibles ou résultant de compromis dilués. MacDougall croit également qu’un environnement de travail non démocratique apparaît inévitablement plus simple que celui qui est géré démocratiquement.
« Cette simplicité provient du fait que, malheureusement, la plupart des gens n’ont aucune expérience en milieu de travail démocratique. C’est donc beaucoup plus facile de se rabattre sur ce qu’on connaît. Très souvent, ce chemin mène à une certaine forme de hiérarchie de type ʺentrepriseʺ. »
MacDougall est cependant d’avis que les avantages de la démocratie au sein d’une coop de travail en contrebalancent tout à fait les coûts. Les bénéfices vont même au-delà du milieu de travail, puisqu’une expérience en gestion démocratique permet d’entrevoir comment cela pourrait se transposer au monde en général.
Il ajoute : « Je crois que toute citoyenne, tout citoyen, toute personne qui a le sens du devoir civique aurait avantage à travailler quelques années au sein d’une coopérative de travail. C’est une façon tellement, tellement merveilleuse d’exercer la démocratie et de mettre en pratique tout ce qu’elle peut représenter. »
Pour des suggestions sur les meilleures pratiques de démocratie économique exercée par les membres en milieu coopératif, nous avons consulté le Worker Co-operative Code (en anglais seulement), rédigé par le Worker Co-operative Council du Co-operatives UK. Le code dit ceci :
« Les coopératives de travail fleurissent lorsque l’ensemble des membres participe à des processus décisionnels transparents et justes, mais aussi lorsqu’une autorité est déléguée à quelques membres pour agir au nom du collectif. Votre coopérative devrait :
- S’assurer de la participation de l’ensemble des membres dans la gestion de l’entreprise et dans la planification à long terme.
- Entretenir une communication efficace, tant entre la coop et ses membres qu’entre les membres eux et elles-mêmes.
- Se mettre d’accord de manière collective et déléguer du pouvoir à quelques membres afin qu’ils ou elles agissent au nom de la coopérative lorsque nécessaire.
- Assurer la présence de processus démocratiques ou de redevabilité démocratique dans toutes les instances de gouvernance et toutes les tâches de gestion.
- Réévaluer régulièrement sa gouvernance et ses processus d’administration des affaires au fur et à mesure que la coopérative se développe et prend de l’ampleur. »