Les sociétés B Corp : un maillon d’une chaîne complexe

Par Kenzie Love

Dans un contexte de demande croissante pour les services d’atténuation des changements climatiques et de planification de l’adaptation, Sustainability Solutions Group (SSG) fait face à une rude compétition dans les appels de projets. Ce cabinet de consultation primé se distingue déjà de la majorité de ses compétiteurs : il est constitué en coopérative de travail. Bien que cette donnée devrait prouver que SSG défie le statu quo, cette coopérative a encore parfois du mal à ressortir du lot. C’est pourquoi, en 2023, elle a décidé d’obtenir la certification B Corp.

« Nous avions besoin de nous démarquer », indique Emi Do, membre de SSG. « Et, malheureusement, notre statut de coop de travail n’indique pas aux municipalités, régions et états qui évaluent nos propositions quelles sont nos valeurs et notre approche unique aux affaires. Il nous fallait quelque chose pour le démontrer. »

Fondé en 2006 par un trio d’hommes d’affaires convaincus que les entreprises pouvaient œuvrer pour le bien, l’organisme à but non lucratif B Lab, responsable de la certification B Corp, fait l’objet de son lot de critiques. Bien que le sceau B Corp ne constitue pas une solution miracle à tous les problèmes qu’il cherche à régler, celui-ci représente néanmoins un maillon de la chaîne pour bâtir une économie plus juste et équitable.

Aux débuts de B Lab, les entreprises candidates devaient gagner des points selon une série de critères sociaux et environnementaux afin de décrocher leur certification annuelle, titre détenu de nos jours par plus de 8 000 sociétés, notamment des noms bien connus comme Ben & Jerry’s et Patagonia. Toutefois, les nouvelles normes exigent des entreprises certifiées qu’elles se conforment à sept sujets clés, s’éloignant ainsi du système de points cumulatifs où une entreprise aurait pu obtenir un pointage faible dans un domaine, mais se rattraper avec des résultats plus élevés dans d’autres sphères. Selon Clay Brown de B Lab, ces nouvelles normes « tracent la voie pour un leadership sur les questions sociales et environnementales dans un contexte criant. »

 

Les recherches menées par B Lab indiquent qu’à tout le moins, la certification a réussi à rejoindre le public consommateur. Alors que les coops de travail semblent perpétuellement se heurter au manque de « connaissances » sur le modèle, une personne consommatrice sur trois au Canada et aux États-Unis a rapporté comprendre le sceau B Corp. Or, le poids réel de la certification « B », que les entreprises peuvent afficher dans leur vitrine et sur leurs emballages, a provoqué des accusations d’écoblanchiment. Todd Schifeling, de l’Université Temple, a justement étudié les sociétés B Corp et il affirme que ces reproches contre l’usage de la certification comme élément de marketing s’avèrent inévitables, mais que l’accusation n’est pas entièrement fondée.

« Dès qu’on lance un message sur la place publique, on court toujours le risque qu’il manque de substance », ajoute-t-il. « Et je pense qu’il s’agit de préoccupations et de critiques saines, qui ont le potentiel d’accélérer le progrès. En partie, cela s’est d’ailleurs reflété, je crois, dans les nouvelles normes qui sont lancées. Je les vois comme un effort majeur pour renforcer la rigueur de la certification. Je suis aussi d’avis qu’il y a un jeu d’équilibre, inhérent, quand on établit des normes si élevées, qui ne sont absolument pas de l’écoblanchiment, elles font sans aucun doute partie d’un mouvement très pur, mais seule une poignée peut y accéder. D’un autre côté, on peut mettre en place un large parapluie qui ratisse bas, aux standards vides de sens qui englobent pourtant tout le monde. »

Bien que l’accès des grandes multinationales au sceau B Corp ait fait l’objet de critiques, le parapluie en question n’englobe certainement plus « tout le monde » de nos jours, compte tenu des investissements en argent et en temps nécessaires à l’obtention de la certification. De son côté, SSG a l’intention de conserver son sceau pour un bon moment, mais Emi Do reconnaît la pertinence discutable de celui-ci pour des coopératives de plus petite échelle, même si elles répondent déjà à la majorité des critères.

« Les certifications ont certainement leur rôle à jouer dans un domaine très compétitif où chaque occasion de se démarquer accorde un avantage », affirme-t-elle. « Par contre, pour une coop de travail de moindre ampleur, cette certification de 2 000 $ pourrait sembler moins pertinente. Il existe potentiellement d’autres mécanismes de marketing qui en valent plus la peine. »

Les coopératives de travail pourraient en effet profiter du succès promotionnel des sociétés B Corp. Il faut toutefois étendre le regard au-delà des étiquettes et se concentrer plutôt sur les retombées. Comme le souligne Trebor Scholz : « Les coops, les syndicats, les plans d’actionnariat du personnel d’une entreprise, les sociétés B Corp, les OAD, les coopératives des communs, le rachat par la communauté et tout cela, elles feront toujours l’objet d’éloges et de critiques. Le plus important, en fin de compte, ce n’est pas la forme d’organisation, mais les effets positifs sur les gens. »