La philosophie coopérative asiatique : un exemple à suivre

Par Kenzie Love

La philosophie de la coopération, qui porte aussi plusieurs autres noms, est une constante parmi les cultures asiatiques. Mai, le Mois du patrimoine asiatique, est donc l’occasion toute désignée de reconnaître non seulement l’apport coopératif passé de la diaspora asiatique, mais aussi les leçons à retenir pour un avenir coopératif pour tous et toutes.

Comme d’autres coopératives des communautés autochtones, noires et de couleur, les coopératives asiatiques en Amérique du Nord ont souvent été ignorées par le mouvement coopératif plus large, axé sur les Équitables Pionniers de Rochdale, considérés comme les fondateurs du modèle. Les coopératives qui ne se plient pas à la totalité des principes fondateurs des Pionniers sont souvent vues comme moins « authentiques » que les coopératives issues des communautés blanches.

Dans le cadre d’un article, Jo-Anne Lee, Brian Smallshaw et Ana Maria Peredo citent un ouvrage sur les coopératives de pêche en Colombie-Britannique, Tides of Change: A Story of Fishermen’s Co-operatives in British Columbia, selon lequel les coopératives qui « ne présentaient pas toutes les caractéristiques d’une coopérative de Rochdale étaient déficientes ou pas totalement formées ». Or, si ces coopératives n’étaient pas, par exemple, ouvertes à tous et à toutes, c’était parce que leur existence était le produit de l’exclusion de la communauté canado-japonaise par l’industrie de la pêche canadienne blanche.

De même, le terme AECR (Association d’épargne et de crédit rotatifs – ROSCA en anglais) a été inventé dans les années 1960 pour décrire un phénomène profondément enraciné dans diverses cultures, dont de nombreuses cultures asiatiques, mais qui est rarement reconnu formellement. Même si les participant·e·s aux AECR peuvent voir à la fois le pour et le contre de la réglementation de ces collectifs, il importe de reconnaître que ceux-ci sont souvent nés de l’exclusion du système bancaire conventionnel.

Pour beaucoup de personnes de la diaspora asiatique et d’autres cultures, les AECR constituent d’importants substituts ou compléments à la participation au système bancaire formel. Ce sont donc des formes essentielles de soutien financier. Toutefois, leur valeur n’est pas strictement financière. Une étude a montré que les AECR, outre leur valeur économique, ont également une valeur sociale (amitiés, relations) et que les « sociétés modernes feraient bien de reconsidérer les AECR en tant que réseaux d’entraide cherchant des moyens de reconstruire les communautés ».

Partout dans le monde, on sent le besoin d’un esprit communautaire plus fort pour affronter les nombreuses difficultés de notre temps, mais on ne fait pas toujours ce qu’il faut pour le cultiver. Comme le remarque Yvonne Yen Liu, pour les immigrant·e·s asiatiques aux États-Unis, pratiquer l’économie coopérative était une question de nécessité, un « moyen de survivre dans un pays hostile qui excluait leur participation à l’économie conventionnelle ».

Toutefois, aujourd’hui, « participer à l’économie conventionnelle » relève un peu du mythe. La plupart des gens participent effectivement au système capitaliste dominant faute d’autre choix, mais seules quelques personnes privilégiées en récoltent les bénéfices. Établir un sentiment de confiance comme celui offert par les AECR, par exemple, pourrait servir de voie à suivre, à condition que les personnes de toutes les cultures soient capables de reconnaître le besoin d’interdépendance de la même manière que les immigrant·e·s asiatiques autrefois.

Anh-Thu Nguyen, du Democracy at Work Institute, a justement fait remarquer à Yvonne Yen Liu : « À l’heure actuelle, avec la crise climatique en cours et l’écart de richesse qui s’agrandit, la survie de tout le monde est en jeu. Ce n’est pas vraiment une option de faire cavalier seul ».

Il n’y a probablement aucune organisation au Canada qui incarne mieux les valeurs de la coopération, de la paix et de l’harmonie que la Multi-cultural Health Brokers Co-operative (MCHB) d’Edmonton, habilement pilotée par la cofondatrice et codirectrice générale Yvonne Chiu. La direction de la coopérative est en grande partie asiatique. Cette courte vidéo inspirante (en anglais seulement), intitulée River City Bridges, traduit bien la philosophie et l’esprit de la MCHB.