Les fiducies collectives des employé·e·s ne constituent pas l’unique solution pour la relève en affaires

Par Kenzie Love

On constate au Canada un intérêt grandissant pour les fiducies collectives des employé·e·s (FCE), qu’on retrouve déjà sous diverses formes aux États-Unis et au Royaume-Uni. Des deux modèles, c’est celui du Royaume-Uni qui se rapproche le plus de la proposition du gouvernement canadien, dont l’entrée en vigueur est prévue en 2024. Dans le modèle anglais, les propriétaires peuvent vendre leurs actions à une fiducie détenue par les employé·e·s. Le montant de ces parts devient libre d’impôt sur le gain en capital. Les partisan·ne·s des FCE les présentent comme une solution à la vague de retraite, imminente dans la prochaine décennie, chez les propriétaires de petites entreprises. Les FCE seraient aussi synonymes d’une performance d’entreprise accrue, de mesures de protection de l’emploi solides et d’une augmentation du niveau de satisfaction au travail. 

Considérant ces retombées positives, normal que ce modèle soulève l’engouement. Mais les FCE ne représentent en fait qu’une solution parmi d’autres.

Que sont les FCE?

Les nouvelles règles proposées définissent les FCE comme une fiducie qui réside au Canada et qui détient, pour des entreprises admissibles, des actions destinées aux employé·e·s. Cela vise à faciliter la succession et à promouvoir le modèle d’employé·e-propriétaire pour les petites et moyennes entreprises. Ces règles sur les FCE permettraient également aux membres du personnel de contracter un prêt auprès de l’entreprise pour financer le rachat, et de profiter d’un délai de remboursement prolongé. La période du différé sur les gains en capitaux pour les propriétaires à la retraite se verrait également prolongée.

Derrière la pression en faveur des FCE se trouve notamment la Canadian Employee Ownership Coalition. Elle se décrit comme un « réseau diversifié et non partisan de Canadien·ne·s issu·e·s des secteurs entrepreneurial, à but non lucratif, universitaire et caritatif. Le réseau s’engage à faire rayonner le modèle d’employé·e-propriétaire, très avantageux pour l’économie canadienne et pour les travailleur·euse·s, selon ses dires. Sur le site de la coalition, on lit en effet que : « les entreprises détenues par leurs employé·e·s ont le potentiel de gagner de l’ampleur au pays, et de créer une économie à l’inclusivité et la résilience accrues, en plus de générer des milliards de dollars qui enrichiront la main-d’œuvre partout au Canada. »

 

En quoi se distinguent-elles des coopératives de travail?

 

Bien que les deux modèles partagent un intérêt marqué pour la propriété par les employé·e·s, les FCE et les coopératives de travail diffèrent grandement. Comme le remarque Siôn Whellens, de la coop londonienne de graphisme et d’impression Calverts : « Les deux visent à avantager les personnes travailleuses, mais leur mode de propriété et leurs modalités de contrôle sont très différents. Les coops de travail détiennent une vocation sociale plus large. Elles font partie d’un réseau mondial, muni d’un code approuvé à l’échelle internationale. » Au contraire, aucun principe commun ne motive les FCE ou son équivalent des États-Unis, les régimes d’actionnariat des employé.e.s.

Comme l’ajoute Siôn Whellens : « Normalement, dans les FCE, les membres du personnel détiennent un compte individuel pour ses parts. Les droits de propriété s’avèrent donc exercés de manière indirecte (voire pas du tout) par les personnes qui détiennent des actions. Dans certains cas, cela se limite à une minorité du personnel. Le contrôle ultime d’une entreprise en FCE se retrouve souvent conféré à une fiducie au bénéfice des employé·e·s, et la représentation de la partie employée sur le conseil d’administration demeure minoritaire. » Bien qu’en théorie une personne administratrice représente les intérêts de ses pair·e·s, le reste du personnel a une vision limitée des opérations de l’entreprise, et peu de contrôle sur celles-ci. Comme le fait remarquer Angella MacEwen : « On voit des différences structurelles importantes : une fiducie prend des décisions au nom des employé·e·s et redistribue certains des profits. D’autres modèles, au contraire, permettent au personnel non seulement de détenir des parts dans l’entreprise, mais aussi de participer aux prises de décisions. »

Quels sont leurs avantages pour les travailleur·euse·s?

Selon le cabinet d’avocat Stikeman Elliott, spécialisé en droit des affaires canadien : « On estime que, dans les huit premières années suivant l’éventuelle création d’un cadre pour les FCE au Canada, 500 à 700 petites et moyennes entreprises seraient vendues en accord avec ce modèle. En retour, elles génèreraient jusqu’à 9 milliards de dollars pour enrichir près de 114 000 travailleur·euse·s au Canada. » Le cabinet cite également des études pour démontrer que des entreprises détenues par leurs employé·e·s favorisent une augmentation du salaire et le renforcement de la résilience lors de récessions économiques (argument qui s’applique aussi aux coops de travail).

Un plaidoyer pour des chances égales

Le phénomène si répandu de la crise de la relève au sein des petites entreprises canadiennes requiert une réponse sous plusieurs angles. En toute logique, les FCE constituent un de ces angles d’approche. Il serait toutefois erroné de les favoriser aux dépens de l’option de la conversion en coopérative de travail. Cette dernière revêt une foule d’avantages comme le contrôle démocratique, l’accent mis sur le bien-être collectif et des taux de survie élevés. Voilà pourquoi la force travailleuse devrait pouvoir choisir le type de propriété d’entreprise qu’elle préfère. Pour ces raisons, la FCCT revendique un traitement égal des coops de travail : qu’elles bénéficient des mêmes mesures d’encouragement (fiscal ou autre) que les FCE.

Le budget fédéral de 2023 propose de prolonger à dix ans (plutôt que cinq) la réserve pour gains en capital pour les ventes admissibles à une FCE. Cette mesure devrait également s’appliquer aux vendeur.se.s aux coopératives de travail. Considérant que les coops de travail ne profitent d’aucune exemption sur les gains en capital et que leur structure même les prive de certaines mesures proposées pour les FCE, nous demandons des changements fiscaux tels que :

o   La création d’un régime d’investissement coopératif fédéral (à l’image du modèle québécois), un programme de déductions d’impôt pour encourager l’investissement qui favorise et renforce le milieu coopératif.

o   Une admissibilité, sans pénalité, des entrepreneur·euse·s du milieu coopératif aux déductions accordées aux petites entreprises. Cela permettrait aux coops, entrepreneur·euse·s et entreprises qui n’œuvrent pas dans le domaine de l’agriculture et de la pêche d’y avoir recours.

 Pour répondre à la crise de la relève et aux inégalités de revenu, et pour favoriser le bien-être collectif, particulièrement celui des groupes privés d’équité, il faudra mettre en place des mesures d’encouragement (fiscal ou autre) pour les coops de travail, comparables à celles qui existent pour les FCE. De cette façon, les différents modèles profiteront de chances égales aux yeux des employé·e·s.